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Robert Burns, « le fils préféré de l’Écosse »

Dernière mise à jour : 20 janv.

La Saint-André 2009 eut une résonance particulière pour les Écossais. Scotchés, au sens propre comme au figuré, à leur écran de télévision, une pinte à la main, ils attendent. La chaîne STV les a tous soumis à un rude vote : « qui est le plus grand des Écossais ? ».


Durant cette soirée du 30 novembre, des dix finalistes, parmi lesquels nous retrouvons Robert the Bruce, William Wallace ou encore Sir Alexander Fleming, un seul remportera ce titre honorifique. Le suspens est à son comble. Soudain, dans un roulement de tambour, et sous les yeux attentifs des téléspectateurs, le verdict tombe…


ROBERT BURNS


…s’affiche sur les écrans.


Nulle surprise ! Car Robert Burns, symbole de la nation écossaise, du romantisme et de la liberté, est depuis plus de deux siècles l’une des plus grandes fiertés du peuple écossais, son icône culturelle et identitaire, et l’un de ses plus prestigieux représentants à l’international.


« The Bard of Ayrshire » (« le barde de l'Ayrshire ») ou le poète-paysan


Burns vit le jour le 25 janvier 1759, dans le petit village reculé d’Alloway, quelque part dans le Sud-Ouest de l’Écosse. S’il passa son enfance et son adolescence à seconder son père dans les travaux de la terre, parfois au détriment de son éducation scolaire, l’attrait pour les lectures en tout genre ouvrit son jeune esprit à l’amour des mots.


Après 27 ans de vie cachée, le fermier d’Alloway dévoila enfin à ses contemporains son génie poétique. En effet, son installation à Édimbourg en 1786 fut suivie de peu de la publication de ses premières œuvres, initiatrices d’une renommée qui transcende les frontières. Poèmes, principalement en dialecte écossais fut son premier recueil, mêlant le scots et l’anglais. Cette ouverture aux deux langues lui permit de conquérir un large public, composé tant de simples locaux que d’intellectuels lointains et célèbres. Malgré son humble origine, il fut sans peine intégré au cercle de lettrés de la capitale, où le bientôt célèbre Walter Scott, alors garçon de 15 ans, le découvrit et décrivit ainsi : « manières rustiques, pas clownesques. Son visage... plus massif qu'il n'y paraît dans aucun des portraits... une forte expression de perspicacité dans ses linéaments ; l'œil seul indiquait le caractère poétique et le tempérament. Il était grand, et d’une fonte sombre, et brillait littéralement quand il parlait avec sentiment ou intérêt. »


Robert Burns d'après le portrait d'Alexander Nasmyth (1787) conservé à la National Scottish Gallery, Édimbourg.
Robert Burns d'après le portrait d'Alexander Nasmyth (1787) conservé à la National Scottish Gallery, Édimbourg.

Robert Burns travailla sans relâche et avec passion les 37 années de sa vie. Chansonnier, il redécouvrit, remit au goût du jour, inventa, des centaines de chansons traditionnelles écossaises ; poète, il loua les beautés de son Écosse natale, ses mérites et ses traditions les plus farfelues ; romantique révolutionnaire, il usa de ses mots pour critiquer aristocrates et presbytériens, et pour donner à la littérature de son temps un vent de nouveauté et de liberté telle qu’il la concevait lui-même.  Et au cœur de cette dense création littéraire, ce poète-paysan, comme aimaient à l’appeler certains de ses contemporains citadins, jamais ne renia son héritage familial, travaillant de longues années durant comme fermier.


Un joli cœur


La vie de Burns, quoique courte, fut romanesque et rocambolesque. Joli cœur, il eut plusieurs amours, dont la jeune Eliza Burnett, fille de Lord Monboddo, pour qui il écrivit ses doux mots en 1786 : « Il n'y a rien eu de semblable à elle dans toutes les combinaisons de Beauté, Grâce et Bonté que le grand Créateur a formées, depuis la veille de Milton le premier jour de son existence ». Plus tard, le fils illégitime qu’il eut avec Jean Armour, alors même qu’il était fiancé à Marry Campbell, le questionna sur un possible départ en Jamaïque. Mais la mort soudaine de cette dernière, concomitante au succès de sa première publication, le dissuada de prendre le large. Il finit par épouser Jean Armour qui lui donna neuf enfants, dont seulement trois atteignirent l’âge adulte.



Sa vie publique, quant à elle, ne fut pas dépourvue de quelques anecdotes atypiques. Ainsi, en 1787, la respectable Lady Catherine Bruce, vieille dame de 91 ans et descendante directe du roi d'Écosse Robert Bruce, l’adouba chevalier à la Tour de Clackmannan. Malgré le succès de son travail, son intempérance, propre à l’âme de poètes, son goût de la débauche et sa démesure, mais également les amitiés ruinées au fil des ans par ses opinions, ainsi que le labeur paysan et une santé défaillante emportèrent le jeune écrivain le 21 juillet 1796.


Héraut de la nation écossaise

La renommée de Burns fut aussi instantanée que durable. Il se vit bien vite attribuer quelques doux surnoms tels que Rabbie, The Bard ou encore Scotland's favourite son. Il inspira des générations de romantiques dans le monde entier. Son héritage littéraire perdure, avec quelques chansons incontournables telle que Auld Lang Syne, plus connue des francophones sous le nom de "Ce n’est qu’un au revoir", ou encore Scots Wha Hae, hymne officieux de l’Écosse, et dont l'air rythme les défilés et autres cérémonies de l’armée française !


Ce héraut de la nation reste à jamais dans la mémoire des Écossais, qui le célèbrent chaque année au cours de la Burn’s Night le 25 janvier, autour d’un bon haggis et de quelques-unes de ses plus belles et amusantes poésies. Comme en témoignent les musées, les librairies, les récits et les festivités qui lui sont dédiés, Robert Burns demeure aujourd’hui l’un des écrivains les plus aimés et vénérés d’Écosse.


Il faudrait une vie pour faire le tour de l’œuvre monumentale de Robert Burns. Choisir parmi ses meilleurs écrits n’est donc pas une mince affaire. Quant au Comptoir d’Écosse, c’est sans surprise que nous nous arrêterons sur ce poème emblématique qui célèbre le whisky :


Scotch Drink[1]

Gie him strong drink until he wink,

That's sinking in despair;

An' liquor guid to fire his bluid,

That's prest wi' grief and care:

There let him bouse, an' deep carouse,

Wi' bumpers flowing o'er,

Till he forgets his loves or debts,

An' minds his griefs no more.

Solomon's Proverbs, XXXI. 6, 7.

 

Let other poets raise a fracas

"Bout vines, an' wines, an' drucken Bacchus,

An' crabbit names an'stories wrack us,

An' grate our lug:

I sing the juice Scotch bear can mak us,

In glass or jug.

 

O thou, my muse! guid auld Scotch drink!

Whether thro' wimplin worms thou jink,

Or, richly brown, ream owre the brink,

In glorious faem,

Inspire me, till I lisp an' wink,

To sing thy name!

 

Let husky wheat the haughs adorn,

An' aits set up their awnie horn,

An' pease and beans, at e'en or morn,

Perfume the plain:

Leeze me on thee, John Barleycorn,

Thou king o' grain!

 

On thee aft Scotland chows her cood,

In souple scones, the wale o'food!

Or tumblin in the boiling flood

Wi' kail an' beef;

But when thou pours thy strong heart's blood,

There thou shines chief.

 

Food fills the wame, an' keeps us leevin;

Tho' life's a gift no worth receivin,

When heavy-dragg'd wi' pine an' grievin;

But, oil'd by thee,

The wheels o' life gae down-hill, scrievin,

Wi' rattlin glee.

 

Thou clears the head o'doited Lear;

Thou cheers ahe heart o' drooping Care;

Thou strings the nerves o' Labour sair,

At's weary toil;

Though even brightens dark Despair

Wi' gloomy smile.

 

Aft, clad in massy siller weed,

Wi' gentles thou erects thy head;

Yet, humbly kind in time o' need,

The poor man's wine;

His weep drap parritch, or his bread,

Thou kitchens fine.

 

Thou art the life o' public haunts;

But thee, what were our fairs and rants?

Ev'n godly meetings o' the saunts,

By thee inspired,

When gaping they besiege the tents,

Are doubly fir'd.

 

That merry night we get the corn in,

O sweetly, then, thou reams the horn in!

Or reekin on a New-year mornin

In cog or bicker,

An' just a wee drap sp'ritual burn in,

An' gusty sucker!

 

When Vulcan gies his bellows breath,

An' ploughmen gather wi' their graith,

O rare! to see thee fizz an freath

I' th' luggit caup!

Then Burnewin comes on like death

At every chap.

 

Nae mercy then, for airn or steel;

The brawnie, banie, ploughman chiel,

Brings hard owrehip, wi' sturdy wheel,

The strong forehammer,

Till block an' studdie ring an reel,

Wi' dinsome clamour.

 

When skirling weanies see the light,

Though maks the gossips clatter bright,

How fumblin' cuiffs their dearies slight;

Wae worth the name!

Nae howdie gets a social night,

Or plack frae them.

 

When neibors anger at a plea,

An' just as wud as wud can be,

How easy can the barley brie

Cement the quarrel!

It's aye the cheapest lawyer's fee,

To taste the barrel.

 

Alake! that e'er my muse has reason,

To wyte her countrymen wi' treason!

But mony daily weet their weason

Wi' liquors nice,

An' hardly, in a winter season,

E'er Spier her price.

 

Wae worth that brandy, burnin trash!

Fell source o' mony a pain an' brash!

Twins mony a poor, doylt, drucken hash,

O' half his days;

An' sends, beside, auld Scotland's cash

To her warst faes.

 

Ye Scots, wha wish auld Scotland well!

Ye chief, to you my tale I tell,

Poor, plackless devils like mysel'!

It sets you ill,

Wi' bitter, dearthfu' wines to mell,

Or foreign gill.

 

May gravels round his blather wrench,

An' gouts torment him, inch by inch,

What twists his gruntle wi' a glunch

O' sour disdain,

Out owre a glass o' whisky-punch

Wi' honest men!

 

O Whisky! soul o' plays and pranks!

Accept a bardie's gratfu' thanks!

When wanting thee, what tuneless cranks

Are my poor verses!

Thou comes-they rattle in their ranks,

At ither's a-s!

 

Thee, Ferintosh! O sadly lost!

Scotland lament frae coast to coast!

Now colic grips, an' barkin hoast

May kill us a';

For loyal Forbes' charter'd boast

Is ta'en awa?

 

Thae curst horse-leeches o' the' Excise,

Wha mak the whisky stells their prize!

Haud up thy han', Deil! ance, twice, thrice!

There, seize the blinkers!

An' bake them up in brunstane pies

For poor damn'd drinkers.

 

Fortune! if thou'll but gie me still

Hale breeks, a scone, an' whisky gill,

An' rowth o' rhyme to rave at will,

Tak a' the rest,

An' deal't about as thy blind skill

Directs thee best.

 

Donnez à ceux qui sont affligés une liqueur forte, et du vin à ceux qui sont dans l’amertume du cœur.

Qu’ils boivent pour oublier leur pauvreté, et qu’ils ne se souviennent plus de leurs douleurs.

Proverbes, XXXI. 6, 7

 

 

 

Que les autres poètes fassent du fracas

Avec leurs vignes, et leurs vins, et leur Bacchus ivre ;

Qu’ils nous persécutent de leurs histoires et de leurs noms maussades

Et nous écorchent les oreilles ;

Je chante la liqueur que l’orge d’Ecosse sait nous faire

En verre ou en pot.

 

O toi, ma muse ! Bonne vieille boisson écossaise,

Soit que tu circules dans les serpentins tortueux,

Ou que, richement brune, tu mousses par-dessus les bords

En glorieuse écume,

Aide-moi, jusqu’à ce que je balbutie et cligne de l’œil,

A chanter ton nom.

 

Que le froment cossu orne les vallées,

Et que les avoines dressent leur corne barbue,

Et que les pois et les fèves, soir ou matin,

Parfument la plaine ;

Je suis fier de toi, Jean Grain d’Orge,

Toi le roi des Grains !

 

C’est de toi souvent que se nourrit l’Ecosse,

En gâteaux flexibles, élite des aliments !

Ou jeté dans le flot bouillant

Avec les choux verts et le bœuf ;

Mais lorsque tu verses le sang de ton cœur plein de force,

C’est surtout alors que tu brilles.

 

La nourriture emplit le ventre et nous tient vivante,

Quoique la vie soit un présent qui ne vaut pas qu’on l’accepte

Lorsqu’on la traîne lourde de peine et de chagrin ;

Mais huilées par toi,

Les roues de la vie descendent allègrement la pente

Avec un joyeux bruit.

 

Tu éclaircis les idées du Savoir alourdi ;

Tu réjouis le cœur du Souci languissant ;

Tu raffermis les nerfs du Travail

A sa tâche pénible ;

Tu illumines même le sombre Désespoir

D’un ténébreux sourire.

 

Souvent, revêtu d’un habit d’argent massif,

Tu dresses la tête au milieu des grands ;

Mais humblement serviable au temps du besoin,

Le vin du pauvre,

Son petit pudding de gruau, ou son pain,

Tu lui tiens lieu de toute une cuisine.

 

Tu es la vie des réunions publiques ;

Sans toi, que seraient nos foires et nos fêtes ?

Même les pieuses assemblées des saints,

Inspirées par toi,

Quand, bouche béante, elles assiègent les chaires en plein vent,

Sont doublement ferventes.

 

Ce joyeux soir où nous rentrons le grain,

Avec quel charme alors tu mousses dans la corne !

Ou fumant, le matin du nouvel an,

Dans le bowl ou la jatte de bois,

Avec une petite goutte d’esprit brûlée dedans,

Et du sucre savoureux !

 

Quand Vulcain gonfle le vent des soufflets,

Et que les paysans se rassemblent avec leurs outils,

Oh ! c’est merveille de te voir siffler et écumer

Dans la tasse de bois à anse !

Alors brûle-vent[1] avance comme la mort

A chaque coup.

 

Pas de merci, alors, pour le fer ou l’acier ;

Le charnu, ossu, jeune paysan

Fait rouler vigoureusement et tomber à tour de bras

Le fort marteau,

Jusqu’à ce que billot et enclume résonnent et chancellent

Sous un bruit étourdissant.

 

Quand les enfants criards voient la lumière,

Tu fais babiller bel et bien les commères

Sur le peu de cas que les sots maladroits font de leurs chéries ;

Maudit soit le nom !

Aucune sage-femme n’a une soirée agréable,

Ni un sou d’eux.

 

Quand les voisins sont en procès,

Et aussi furieux qu’il est possible de l’être,

Combien aisément le jus de l’orge peut

Concilier la querelle !

De tous les honoraires d’avocat le moins cher,

C’est de recourir au baril.

 

Hélas ! faut-il que ma muse ait sujet

D’accuser ses compatriotes de trahison !

Ais beaucoup humectent journellement leur trachée-artère

Avec d’agréables liqueurs,

Et c’est à peine si, une fois dans tout l’hiver,

Ils lui en demandent le prix.

 

Fi de l’eau-de-vie, cette drogue brûlante !

Source cruelle de mainte douleur, et maladie subite !

Elle enlève à maint pauvre ivrognen hébété et stupide,

La moitié de ses jours ;

Et envoie, de plus, l’argent de la vieille Ecosse

A ses plus grands ennemis.

 

Vous, Ecossais, qui voulez du bien à la vieille Ecosse !

C’est à vous surtout que je parle,

Pauvres diables sans un liard ainsi que moi !

Il vous est nuisible

D’avoir affaire aux vins amers et coûteux,

Ou à la liqueur étrangère.

 

Puisse la gravelle déchirer sa vessie,

Et la goutte le torturer pouce à pouce

Celui qui tord sa face d’un air

D’aigre dédain

A l’offre de punch de whisky

Avec d’honnêtes gens.

 

O Whisky ! âme des jeux et des badinages !

Accepte les humbles remerciements d’un barde !

Quand tu me manques, combien criards et discords

Sont mes pauvres vers !

Tu viens, ils résonnent à leur rang,

A c-l l’un de l’autre !

 

O toi, Ferintosh ! Si cruellement perdu !

Ecosse, gémis de côte en côte !

Maintenant la colique et la coqueluche

Peuvent nous tuer tous ;

Car le bateau freté du loyal Forbes

Est pris !

 

Ces maudites sangsues de l’accise,

Qui font leur butin des alambics à whisky !

Lève ta main, diable ! une fois, deux fois, trois fois !

Allons, saisis-moi ces drôles !

Enfourne-les dans les pâtés de soufre,

Pour les pauvres buveurs damnés !

 

Fortune ! si seulement tu veux m’assurer

Des culottes en bon état, un pain, et un quart de pinte de whisky,

A force de rimes pour extravaguer à volonté,

Prends tout le reste,

Et fais ton affaire comme ton aveugle habileté

Te dirigera le mieux.

[1] Poésies complètes de Robert Burns traduites de l’écossais par M. Léon de Wailly, Paris, Charpentier, 1843, pages 6 à 9, « Boisson écossaise ».

[2] Le forgeron


Happy Burns' night !


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